Article paru dans Le Floridien
Jan Mapou, de son vrai nom Jean-Marie Willer Denis, a publié au printemps dernier son tout nouveau livre « Antoloji Teyat Mapou ». Il s’agit d’une compilation de cinq œuvres théâtrales du dramaturge qui est également poète, chroniqueur, auteur de nouvelles, ardent défenseur de la langue créole et l’un des pionniers du Mouvman Kreyòl Ayisyen.
« Antoloji Teyat Mapou » contient des pièces de théâtre comme « Anba Lakay » (1988), « Maryaj Daso » (1989), « Lanmò Jozafa » (1984), « Libète ou Lanmò » (1991) et « Mèt Lawouze ». Il s’agit d’un ensemble de pièces qui ont été écrites et mises en scène par Jan Mapou puis interprétées par les membres de la célèbre troupe Sosyete Koukouy sur près de 30 ans.
La troupe a commencé ses représentations théâtrales à New York en 1981. La première pièce qu’elle a jouée était « Bouki nan Paradi », de Frank Fouché, lors d’une soirée culturelle chez Dr. Serge François dit Ralba, a indiqué Mapou dans la préface de l’ouvrage.
De New York à Miami, Sosyete Koukouy a présenté une vingtaine de pièces de théâtre dont la majorité était constituée des montages de textes d’écrivains tels que Félix Morisseau Leroy, Menès Dejoie ou Jean Claude Martineau. Ces pièces, fait savoir Jean Mapou, ont pour la plupart été exécutées par des dizaines d’acteurs sur les grandes scènes de New York et de la Floride telles que le Miami-Dade County Auditorium, le Gusman Performing Arts Center, le Caleb Center etc.
Parmi les pièces à succès de Sosyete Koukouy figure DPM (Drèt Pou Miyami)Kanntè au Miami-Dade County Auditorium (qui n’est pas dans la compilation mais qui fait l’objet d’un livre à part). Plus de 2000 personnes ont assisté à cette représentation magistrale qui décrivait un bateau chargé de réfugiés se dirigeant vers Miami. L’originalité de cette pièce, indique Mapou, est qu’elle a commencé sur la mer pour finir sur la mer avec 400 réfugiés qui ont péri dans l’océan sauf un bébé né sur le bateau 3 minutes avant le naufrage…
En plus des pièces qu’il a écrites lui-même, le concepteur de pwezigram a mis en scène des œuvres comme « Wa Kreyon », de Félix Morisseau-Leroy, qui est une adaptation haïtienne d’Antigone de Sophocle. Morisseau-Leroy avait traduit cette pièce classique dans les années 50 pour montrer les muscles du créole haïtien. La représentation de la pièce lui avait donné une dimension politique qui avait plu à Morisseau-Leroy. Celui-ci avait déclaré qu’il s’agissait de la plus belle représentation de « Wa Kreyon », a fait savoir Jan Mapou.
L’auteur de « Antoloji Teyat Mapou » présente le « Théâtre Koukouy » comme une école de formation artistique. Parmi ceux et celles qui sont passés par cette école figurent d’actuels leaders communautaires tels que Marleine Bastien (FANM) et Gepsie Metellus (Sant La). C’est un mariage de divers disciplines littéraires pour l’éducation de la communauté, c’est un théâtre qui met l’accent sur la vie humaine sur terre, écrit celui qui s’est beaucoup battu pour l’émancipation de la langue créole à travers le théâtre et la poésie.
La dramaturgie que prône Mapou est décrite comme un théâtre total et participatif. C’est aussi un théâtre politique et éducatif qui dénonce des choses et invite le peuple à prendre son destin en main. Dans DPM Kanntè, on dénonce les militaires qui prennent le pouvoir en Haïti, maltraitant la population, ce qui cause le phénomène des boat-people qui envahissent les côtes de la Floride et des Bahamas, on pointe aussi du doigt les garde-côtes américains qui arrêtent les réfugiés en pleine mer et les enferment dans les prisons de Guantanamo.
Le poète, acteur et chanteur Frantz « Kiki » Wainwright a pour sa part salué “Antoloji Teyat Koukouy » comme « un outil important, une référence pour les générations futures».
Parmi les pièces théâtrales figurant dans ce livre, nous trouvons « Anba Lakay », un bon exemple de théâtre total. La scène se déroule dans un marché public où les marchandes vendent leurs produits, échangent des potins, discutent, se chamaillent, où des touristes prennent des photos et où un candidat se fait huer par la foule parce qu’il fait des promesses qu’il ne tiendra pas.
Dans le deuxième texte intitulé « Maryaj Daso », un play-boy est pris au piège après avoir mis enceinte une jeune femme alors qu’il se préparait à en épouser une autre. Dans la troisième pièce titrée « Lanmò Jozafa », Jan Mapou démontre la force des croyances populaires qui veulent que tout décès soit mystique et ne peut venir de causes naturelles.
« Libète ou Lanmò », le 5e texte de l’anthologie est une pièce qui retrace la lutte des anciens esclaves haïtiens pour l’Indépendance. Elle commence avec le débarquement des premiers africains sur la colonie de Saint-Domingue à la cérémonie de Bois-Caïman. Le dernier texte enfin, « Mèt Lawouze », inspiré du célèbre roman « Gouverneurs de la rosée » de Jacques Roumain, a été écrit par Jan Mapou avec l’aide de Paula Clermont Péan. Le roman de Roumain a eu beaucoup de succès dans plusieurs pays qui l’ont traduit en mis en scène. En 2010, Jan Mapou s’est attelé à la tâche de présenter une mise en scène en créole du roman. Il y a ajouté, selon Kiki Wainwright, tous les ingrédients nécessaires pour produire des scènes qui ont ébloui le public ou provoquer des larmes.
« Lorsque Mapou fait une mise en scène il est comme un général qui commande une petite armée composée d’acteurs, d’assistants metteur en scène, d’accessoiristes, de couturières, de maquilleurs, de danseurs, de chorégraphes, de compositeurs, de chanteurs, de décorateurs, d’ingénieurs de son, d’éclairages etc. Il donne des ordres, il est excité, il ne faut pas le déranger. C’est un perfectionniste, un vrai artiste-leader », écrit Wainwright.
Vivant en Floride depuis 1984, après avoir émigré à New York en 1972, Jean Mapou est le propriétaire de Libreri Mapou. Située au cœur de Little Haiti, à Miami, cette librairie est aussi un centre culturel, le foyer des artistes de la célèbre Sosyete Koukouy.
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