La nouvelle de l’assassinat crapuleux de la poétesse et éducatrice Farah-Martine Lhérisson est tombée comme un couperet. Elle et son mari Lamothe Lavoisier sont tombés, le lundi 15 juin, sous les balles d’assassins qui sont allés leur ôter la vie jusques dans le sanctuaire de leur demeure pour des raisons jusqu’ici inconnues. Ce double meurtre nous fait mal et est condamné unanimement par la société haïtienne.
Comme c’est souvent le cas ces jours-ci, c’est en naviguant sur les réseaux sociaux que j’ai reçu la nouvelle de la mort de l’écrivain Farah-Martine Lhérisson. J’ai dû faire une pause, à la fois troublé et scandalisé. Je n’ai pas connu personnellement Mme Lhérisson, mais je l’ai connu à travers son œuvre “Itinéraire Zéro”, son unique recueil qui l’a consacrée poétesse, sorti en 1995 aux Éditions Mémoire. J’ai pu lire cet ouvrage il y a des années à la Bibliothèque Justin Lhérisson de Carrefour. J’ai pu aussi déclamer certains de ses poèmes lumineux durant l’Atelier de Création Marcel Gilbert tenu chaque samedi à cette même bibliothèque. J’ai été charmé par la concision des textes et la puissance des mots de Farah-Martine qui, je peux le dire aujourd’hui, m’ont marqué en tant que poète.
Et puis il y a ces draps
qui font glisser
mes souvenirs
cette lampe de chevet s’en va mais… reviens
je la veux l’image du tableau d’en face
je la porterai en écharpe
elles se sont perdues mes croisières
L’ascenseur descend
cet orgasme m’étreint
idiote passion des villes
du dehors
– J’irai
– Où ?
– Merveilles
– Alice?
– Picasso
La rue ouvre les jambes
libre cours à la vie
les miennes la sève
Désespérément moi
à l’aller et au retour
(Itinéraire Zéro, 1995)
Farah-Martine a fait œuvre qui vaille, non seulement comme poétesse mais comme éducatrice ayant formé des générations de jeunes Haïtiens à travers son école. Elle était la directrice de l’Ecole Saint-Léonard à Delmas 43.
Plus d’un ont réagi face à cet acte barbare qui a frappé le monde de l’éducation et celui de la littérature. Le Ministère de la Culture et de la Communication, dans une note de presse, dit avoir appris avec “beaucoup d’émotion et de consternation” l’assassinat de Mame Lhérisson ainsi que son mari. “En tant que défenseur des artistes et des écrivains”, poursuit la note, le MCC dit vouloir “solliciter directement les bons offices de la justice haïtienne sur ce crime crapuleux”. La Direction nationale du livre (DNL) condamne pour sa part un crime “odieux” qui “vient malheureusement s’ajouter à une liste d’actes indignes, barbares, qui salissent l’image de notre société”. Le Centre Pen Haïti quant à lui salue le départ d’une “âme sensible à la beauté des mots et du monde et trouvait le temps de s’impliquer dans des activités autour du livre et de la culture”. Le Centre demande justice et condamne “avec la plus grande rigueur les mains qui arment ceux qui peuvent tuer en toute impunité”.
C’est triste que dans notre pays Haïti, des citoyens de toutes couches sociales continuent de tomber sous les balles assassines. Cette “barbarie institutionnalisée”, pour reprendre les termes du Centre Pen Haïti, n’épargne personne. Les poètes ne sont malheureusement pas exempts car…
Les balles ne savent pas lire
Elles n’ont pas connu les chants d’étoile
Ni croqué les épis gorgés de soleil
Ni vogué sur les bateaux ivres
On les dit aveugles
Les balles assassines
Elles sont aussi ignorantes
Sans foi ni loi
Sans feu ni lieu
Itinéraire zéro
Elles ne connaissent pas les poètes
Elles ignorent la poésie
Les balles ne savent pas lire
Ceux qui les délèguent non plus
Adieu Farah-Martine
Puisses-tu emporter avec toi la rumeur des pluies éternelles
Jonel Juste